samedi 26 novembre 2022

Dans le secret des arbres


A la faveur de l'automne, voici quelques livres 
qui nous invitent à des promenades en forêt... 



..."Dans le secret des arbres"

 

Je t’aperçois au loin et je m’approche. Je viens vers toi. Tu es là, majestueux, ancré dans le sol. Nul ne peut passer à côté de toi sans te voir. Nul ne peut nier ton existence. Tu es là depuis plus d’un siècle. Tu contemples le monde. Tu seras encore là après mon passage sur ce chemin et nul doute que tu seras encore là après ma mort.

Je te fais face maintenant et je te regarde. Je me sens toute petite à côté de toi, fragile. Je pose ma main délicatement sur ton tronc rugueux et je ressens immédiatement les épreuves de la vie, de Ta vie, sous tes aspérités. Je sais que c’est inutile, mais instinctivement, j’approche mon oreille et j’écoute. Je T’écoute. Tu es aujourd’hui le seul arbre au milieu de ce champ cultivé. Et c’est un miracle que tu sois toujours debout. En effet, à une époque bien plus lointaine, tu as vu les hommes creuser des tranchées et enterrer des mines tout autour de toi. Ta première réaction a été l’incompréhension. Que se passait-il ? Quelle était cette agitation ? Tu as assisté, impuissant, à la modification du paysage. Adieu fleurs sauvages, herbes folles et autres oiseaux. C’était la fin des sons et de la vie de la nature. A la place, tu as vu des hommes prendre place dans les tranchées, s’y entasser, s’y disputer, s’y affamer… s’y perdre et perdre leur humanité. Tu les as vus s’entretuer. Pourquoi ? Le mystère reste entier pour toi. Tu les as bien entendus parler de guerre, de batailles, de victoires. Ils n’avaient que ces mots-là à la bouche. Mais partout autour de toi, il n’y avait que des cadavres. Tout n’était que mort et désolation. Plus aucun souffle de vie. Seules tes racines encore jeunes mais déjà profondément ancrées dans le sol te ramenaient alors à ta vie et à ton humanité. Tu t’es accroché à cette vie comme personne, au milieu de ce décor funeste. Tu t’es tourné vers le ciel, la lumière et tu as grandi. Puis la guerre a fini par cesser. Les soldats sont rentrés chez eux et les années ont passé. La nature a repris ses droits et les paysans leurs cultures. Les oiseaux sont revenus fabriquer leur nid au creux de tes branches. Des amoureux sont venus s’enlacer à tes pieds. La vie a repris son cours normal dans une force incroyable. Et tu as fini pas oublier pour te concentrer sur cette vie, plus forte que tout, qui coule à chaque instant dans tes veines. La Vie.

 

Pascaline VIOLON  13/01/2021